Huitième semaine de marche

 

Le rythme, toujours le rythme, celui des pas qui s’accorde au souffle et s’allie au silence et… le temps.

La tête se vide, un espace se dessine et s’ouvre, instant merveilleux issu du lâcher-prise. Tous les éléments de mon être en synchronicité concourent à cet état de grâce. Tout se fait sans moi, je deviens spectatrice à moi-même.

Une musique innée résonne en moi et fait vibrer mon être intérieur. Ma mémoire cellulaire ou une programmation instinctuelle d’évolution spirituelle s’est enclenchée et provoque l’immersion dans un espace nouveau. J’ai soulevé la poussière de mes pas et j’ai pris conscience d’un sentiment d’absolue complétude et de rayonnement. (d’après Rantana)

Lundi 11 septembre : Bostens – Mont-de-Marsan – Saint-Sever

En poussant la porte de l’église de Bostens, grand noir ! j’avance tout doucement… les lumières s’allument automatiquement, se dévoile une petite église, chaleureuse, romane, pas à pas lentement jusqu’au tapis rouge devant l’autel où est posé juste un petit crucifix, se déclenche alors un superbe Kirie  ! Grosse émotion !

Beaucoup de rosée ce matin, ça trempe les chaussettes! opération chaussettes sèches à l’église de Bougue, dédiée à Saint-Martin.

 

 

avec Corinne, wonderwomens devant la borne kilométrique : Santiago est à 970km !

 

 

 

Voie verte : pluie de glands, un cycliste roule à toute vitesse en faisant courir son chien tenu en laisse à son guidon ! impressionnant… Un joggeur s’étire, nous l’imitons, il est rentré de Compostelle il y a peu de temps, il nous raconte son Camino, sa tendinite, son abandon et sa reprise cette année…

 

 

 

 

 

 

 

 

A Mont-de-Marsan, aucun accès à un ordinateur : ni à l’Office du Tourisme, pas de médiathèque ouverte, pas de maison de jeunes, pas de cyber-café, rien… Visite de la ville avec Corinne, puis nous nous séparons; elle dort là. Je décide de prendre le bus jusqu’à Saint-Sever où un ordinateur est mis à la disposition du public par le gérant du Bar La Muleta.

Arrivée à Saint-Sever à 18 h, accueillie par Philippe, l’hospitalier gascon habitant juste en face du refuge. Connexion internet jusqu’à la fermeture à 21h dans une niche murale aménagée pour un ordinateur portable, au fond du Bar La Muleta.

 

Mardi 12 septembre : Pause à Saint-Sever

« Un véritable pèlerinage consiste à tout laisser. Laisser ce qui rend notre vie de plus en plus rapide et élaborée. Mais aussi laisser [c’est peut-être le plus difficile] l’idée que nous nous faisons de nous-même et des autres. Il faut quitter tout ce qui nous conforte; tout ce qui nous honore, tout ce qui nous rassure. »

Cette citation de Jean Lescuyer résonne en moi d’une manière particulière et me touche dans les tripes.

Lever difficile à 8h30. Je me suis rendormie après le départ de las dos hermanas. Il pleut. Le sommeil n’a pas rechargé mes batteries. Philippe, l’hospitalier de Saint-Sever, est énervé car il a été obligé de recadrer Gilbert, logé dans le refuge de la municipalité, avec l’accord de la mairie, alors qu’il n’est pas pèlerin; il joue avec les limites du règlement du refuge et Philippe prend son rôle très au sérieux. Vu la fatigue, je lui demande la permission de loger une nuit supplémentaire dans le refuge pour me reposer. Il me l’accorde.

La connexion internet au bar de la Muleta est impossible ce mardi matin, comme partout à Saint-Sever sur le réseau SFR en raison de la tempête de la nuit. Visite de la ville, coups de téléphone en Belgique, c’est la rentrée d’Hector et de Jeanne, je me sens loin de mes proches. Tristesse, les larmes arrivent, je les laisse couler…

Rencontre de Martijn, le hollandais déjà croisé à Périgueux, il m’écoute et m’encourage. Je découvre la solidarité entre pèlerins. Wouaw, que c’est fort ! L’abbatiale bénédictine est monumentale.

Corinne est arrivée tôt. Ensemble nous décidons d’aller jusqu’à la médiathèque de Saint-Sever, et repassons l’Adour! Demain est un autre jour. Nous repartirons à deux.

 

 

 

 

 

 

Mercredi 13 septembre : Saint-Sever – Hagetmau

Départ à 8h30. Le temps est gris et menaçant, lourd et chaud. La plaine landaise se termine et nous entrons dans les coteaux du pays de Chalosse. Le relief du chemin remonte peu à peu.

L’église Sainte-Marie d’Audignon abrite un véritable petit trésor : dissimulé au XVIIIème siècle sous un retable en bois, un premier retable en pierre sculptée et polychrome du XVème siècle fut redécouvert le jour de Pâques de 1962, des niches peintes de personnages de l’Histoire Sainte. Très joli.

Pique-nique. Vu deux couleuvres !

Arrivée à Hagetmau à 14h, de l’Office du Tourisme en haut de la ville, nous descendons à la Cité Verte pour obtenir le code de la porte du gîte et tamponner la crédenciale, puis retour dans le haut de la ville pour accéder au gîte municipal. Est-ce que c’est parce qu’Hagetmau a été élue la ville la plus sportive de France que la municipalité nous propose cet entraînement supplémentaire?

Médiathèque. Kiné. Pizzeria avec Jacques de Romorantin parti fin août de Vezelay, Yves d’Elboeuf déjà rencontré au château de Puyferrat, et Corinne. Au gîte, nous retrouvons Anne-Lies et Mickaël, le couple de hollandais. Deux dortoirs de trois lits, 5,50 euros la nuit, c’est le moins cher des gîtes sur mon Chemin.

Jeudi 14 septembre : Hagetmau – Amou – Orthez

Pour alléger la longue étape de ce jour, et aussi parce que la météo a annoncé de la pluie, Anne-Lies, Mickaël, Yves, Corinne et moi prenons 20 minutes de bus pour avancer jusqu’à Amou. Jacques est parti à l’aube pour les 30km et quelques de cette étape.

Nous quittons les Landes pour entrer dans le Béarn des gaves. Marche à travers les riches terres agricoles du pays de Chalosse, des champs de maïs à perte de vue, des pois et du quinoa vraisemblablement?

En passant devant une ferme, nous sommes accueillis par Jacques et son épouse Marie-Hélène et Evelyne, tous les cinq pour un café ou un thé, madeleines en forme de coquilles, confiture de raisins et gelée de coings maison. La récolte des piments d’Espelette est suspendue dans la terrasse. En remerciement, nous chantons le chant des pèlerins, étoiles dans les yeux!

 

 

 

 

 

A l’Office du Tourisme d’Orthez, Claudie nous renseigne sur le gîte « Hôtel de la lune » où nous nous retrouvons les six mêmes. Je propose de cuisiner un plat indien, un dal : Corinne et Yves vont faire les courses. Pendant ce temps, j’assiste à un cours de yin yoga à trois maisons de là (génial!) Séance collective d’épluchage des légumes et je cuisine, avec amour, pendant qu’Yves et Corinne s’occupent des réservations pour les deux jours suivants. C’est ça aussi la vie de pèlerins. A table !  il y en a pour dix, il faut que je revoie mes proportions…

Vendredi 15 septembre : Orthez -Guinarthe

Longue étape donc départ matinal, c-à-d 7h45 à trois : Corinne, Yves et moi. Nous croisons Jean-Georges, Pierrette et Catherine au cours de leur marche de 15 km quotidienne. Bel échange sympathique. A Lanneplàa, nous croisons dans le cimetière la dame qui a la clé de l’église; elle nous ouvre; nous découvrons un vitrail et une tapisserie de Saint-Jacques.

 

Surprises du Chemin!

La pluie s’invite. Nous enfilons nos ponchos jusqu’à Sauveterre-de-Bearn!!! Ah la gadoue, la gadoue, la gadoue!

 

 

Les châtaignes éclatent, elles sont géantes, nous en ramassons plus d’un kilo, mais comme c’est mon idée, c’est moi qui les porte!

Au gîte de Nadine et Georges et la chienne Milka, nous essayons de cuire les châtaignes au micro-ondes, c’est à peu près bien, la prochaine fois ce sera parfait.

Nadine nous gâte d’une assiette de crudités de son potager (tomates coeur de boeuf!!!) puis d’une rougaille (plat réunionnais) et d’une compote de pommes vanillées. Un délice !

Une tisane de tilleul au miel ne parvient pas à me réchauffer. Pendant que Georges, passionné, parle avec ses mains avant de rejoindre sa réunion municipale, Nadine me prépare une bouillote!!! Ca fait 25 ans qu’ils accueillent des pèlerins ou des randonneurs sur pottok (prononcez en basque potiok, race de poneys vivant principalement à l’ouest du pays basque, dans les Pyrénées. D’origine très ancienne, il présente des ressemblances morphologique avec les chevaux des peintures rupestres de la même région. Utilisé pendant des siècles par les habitants du Pays basque pour divers travaux d’agriculture, il fut également mis au travail dans les mines)

Samedi 16 septembre : Guinarthe – Ostabat

Quelle belle étape! C’est plein de nature ici, traversée du gave de Saison, vu un faisan à deux mètres! parlé à deux chasseurs rentrés bredouille. La forêt, des chemins herbeux, de terre, parfois boueux. Après l’église de Suhast, l’ancienne voie ferrée. Il recommence à pleuvoir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La stèle de Gibraltar nous apparait au point de convergence des chemins de Saint-Jacques des trois grandes voies citées par Aimery Picaud : Tours, Vezelay et Le Puy en Velay. Des figues succulentes, des noix, des pommes, de quoi garnir la table du petit-déjeûner. Nous croisons plein de pèlerins, ça fait drôle de voir tous ces gens dans ce petit village de montagne: à l’épicerie, il y a du vrai fromage au lait cru de brebis. Miam miam.

 

 

Au gîte d’étape Ospitalia d’Ostabat, un basque (ni français, ni espagnol !!!) d’un grand âge, Arnaud, nous offre l’apéro. Nous y retrouvons les deux Marie, rencontre de Jean, du couple Christian et Véronique. A l’exception d’Yves, pèlerin vétéran, nous sommes tous sur notre premier pèlérinage. Tchin tchin !

Dimanche 17 septembre : Ostabat – Saint-Jean-Pied-de-Port

Corinne est partie avec Jean avant 8 heures, puis les deux Marie et le couple. Yves et moi partons les derniers après un copieux petit-déjeûner. Il fait frais et nous marchons d’un bon pas. Distraite par un coup de téléphone, je marche derrière Yves. Nos quatre yeux ne voient pas une balise sur une barrière ouverte. Détour avec gros dénivelé, des chasseurs nous remettent sur le bon chemin. Pique-nique dans un abribus près d’un château à 4 tours. Rencontre de deux québecquois.

 

 

 

 

 

 

Un petit café à Saint-Jean-le-Vieux et les derniers kilomètres nous amènent à la porte de Saint-Jacques à Saint-Jean-Pied-de-Port.

 

Au bureau des pèlerins de Saint-Jean-Pied-de-Port, c’est l’affluence quotidienne habituelle, brouhaha continu, en langues étrangères, des hospitaliers nous renseignent sur la prochaine étape : Roncesvalles! Une pèlerine avertie en vaut deux! Dans les rues en pente, c’est noir de monde : des touristes, des pèlerins, des vendeurs de souvenirs, … Quel contraste saisissant avec le Chemin !

Nous avons reservé au refuge Compostella. Christophe nous accueille et nous guide jusqu’à notre dortoir de quatre : deux lits superposés : Corinne arrivée la première a pris un lit en bas, je laisse l’autre à Yves, privilège de l’aîné. Cette fois je grimperai !

Avant de souper, je m’octroie un nouveau plaisir. Une transformation physique a rendu mon pantalon bien trop large! Je m’en achète un nouveau : un beau bleu/gris tourterelle, souple et modulable en short, respirant et … déperlant [pour info : la respirabilité améliore la ventilation globale par un système de ventilation qui régule la température à l’intérieur du vêtement et de faciliter l’évacuation de la transpiration générée par le corps pendant l’effort   et    la déperlance d’un tissu, c’est sa capacité à laisser glisser l’eau sur sa surface sans l’absorber. Ainsi le textile ne se gorge pas d’eau et reste léger, respirant et chaud. La déperlance s’obtient par un traitement appliqué sur la face externe du tissu. Ce traitement a besoin d’être renouvelé au cours de la durée de vie du vêtement]   J’apprends tous les jours et par la même occasion, je vous en fais profiter, elle est pas belle la vie?) Il y a l’embarras du choix à « La boutique du Pèlerin » en route vers Compostelle, tous équipements (textile, chaussures….), accessoires de randonnée, topos guides. Tenue par un passionné des chemins, en Espagne et en France, on y trouve également toute une gamme unique de souvenirs cadeaux liés au chemin et une librairie importante avec récits et beaux ouvrages sur les différents caminos.

 

Menu pèlerin partagé avec les deux Marie, Yves et Corinne : soupe bien chaude, poulet/frites (remarquez les petits paniers à friture dans lesquels sont servies les frites) et crêpe Chantilly. Demain, nous aurons besoin de toutes nos forces!

 

NB : cela fait plusieurs jours que j’attends de publier cet article car j’aurais voulu y joindre des photos mais sur mon Chemin, je n’ai accès qu’à des ordinateurs publics et il m’est impossible d’y transférer les photos prises avec le téléphone portable. Cela ne fonctionne pas donc je publie et les photos viendront plus tard. Bonne lecture: Merci pour tous vos commentaires.

 

 

One Reply to “Huitième semaine de marche”

  1. Depuis Périgueux, on le sentait arriver cet instant merveilleux issu du lâcher-prise. Profite, profite de cet état de grâce. C’est merveilleux de te lire chère Fabienne. Merci de nous le partager, c’est juste du Bonheur ! Gros bisous.

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